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Stratégie de communication


L’Iris Challenger II

Devant les caméras de la télévision le dirigeable a décollé ce matin du cap Gris-Nez avec deux personnes à son bord, Pierre Chabert et Gérard Feldzer. Direction l’Angleterre. Le ballon est équipé d’hélices qui lui permettront de manœuvrer, sans pouvoir toutefois s’affranchir entièrement des contraintes météorologiques, des vents dominants en particulier qui, tout au moins aujourd’hui, ont permis à l’Iris Challenger de partir sans problème dans la bonne direction.

« Une Première Mondiale »

L’agence de presse Galaxie couvre en exclusivité la tentative de traversée de la Manche. Cet exploit, s’il réussit, ne passera donc pas inaperçu car on a mis les bouchées doubles pour communiquer. Reportage en direct sur I-Télé, articles multiples dans la presse, tout est fait pour qu’on en parle, car cette idée de ballon électrique est avant tout un projet technologique et commercial. « C’est un pari un peu fou, pour une expérience inédite » récite France Info. D’autres journalistes se réfèrent à l’exploit de Blériot en 1909, Pierre Chabert évoque quant à lui Santos-Dumont, l’un et l’autre de grands pionniers de l’aéronautique. « Défi humain et technologique » ajoute enfin Galaxie.

Un Ballon gonflé à l’Hélium ou à l’Hydrogène ?

Pourtant, on sent bien que derrière cette tentative il y a un discours semblable chez tous les intervenants, comme cette référence presque systématique à Blériot, à l’écologie aussi. Parfois la leçon est mal digérée : ballon gonflé à l’hélium pour France Info, à l’hydrogène pour I-Télé dont le journaliste est présent au décollage. Ce n’est pas la même chose. Le premier est incombustible, ce qui n’est pas le cas du second, à la source de bien des accidents aéronautiques par le passé. Et puis pour bien différencier le nouvel aérostat de ses prédécesseurs, les ballons et les dirigeables, on assure que celui-là ressemble à un thon… un peu comme les dirigeables…

La première Traversée de la Manche par les Airs

C’est à se demander si l’on se souvient encore des aérostiers Jean-François Pilâtre de Rozier et Jean-Pierre Blanchard. Je n’ai trouvé aucun article les citant, aucun journaliste revenant sur leurs exploits. Car ces deux-là se disputèrent la première traversée de la Manche en ballon. Pilâtre de Rozier choisit de partir des côtes françaises, Blanchard, d’Angleterre car les vents dominants y étaient plus favorables. Cela ne se passait pas en 2013, mais en 1785. C’était à cette époque un véritable « défi humain et technologique ». Cela représentait quelque chose d’extraordinaire. Le premier vol habité, avec des humains, des frères Montgolfier ne datait en effet que d’octobre 1783.

Si les Montgolfier avaient été les premiers à permettre à des hommes de voler, ils ne furent pas les plus géniaux inventeurs car à la même époque Jacques Charles construisait le premier ballon à hydrogène. Avec sa toile, sa nacelle en osier, son système de soupape, ce ballon avait autre chose dans le ventre qu’une Montgolfière qui, elle, ne s’élevait dans les airs qu’à l’aide d’un foyer alimenté par de la paille. Le premier vol habité du ballon de Jacques Charles eut lieu le 1er décembre 1783, donc très peu de temps après les premières ascensions des Montgolfières.

Pilâtre de Rozier fut le premier homme à s’élever dans les airs, pour le compte des frères Montgolfier. Quant à Blanchard, génial inventeur originaire de Petit-Andely en Normandie, il imagina une sorte de « bateau volant » – c’est ainsi que l’on surnommait son ballon – non pas sur le modèle de la Montgolfière, mais sur celui de la Charlière. Il avait ajouté à la nacelle un gouvernail et des ailes, des rames permettant de manœuvrer le ballon. En 2013, que fait-on de plus ? On remplace l’hydrogène par de l’hélium, les ailes par des hélices, et comme Blanchard le décida en 1784, on fit un premier essai de traversée de la Manche en 2011 en partant d’Angleterre…


Pilâtre de Rozier, pour traverser la Manche, fit construire un ballon hybride, à air chaud et à hydrogène. C’était un système dangereux. Il attendit longtemps avant de pouvoir s’envoler car les vents ne furent guère favorables. Entre-temps Blanchard et son passager américain avaient décollé de Douvres le 7 janvier 1785 et fait la traversée en moins de deux heures trente. Un exploit ! Pilâtre de Rozier ne renonce pas. Il s’envole à son tour le 15 juin 1785, fait quelques kilomètres en direction de l’Angleterre avant d’être ramené vers la côte par un vent contraire. Là, le ballon se dégonfle soudainement, chute d’une hauteur de 300 mètres. Pilâtre de Rozier et son passager seront les premières victimes de l’aéronautique.

Gérard Feldzer et Pierre Chabert ont établi aujourd’hui, le 4 septembre 2013, un nouveau record du monde, deux heures vingt trois avec un dirigeable, soit deux ou trois minutes de moins que Blanchard avec son simple ballon sans hélice au XVIIIe siècle. Il n’y a donc pas de quoi se pavaner.

La Traversée de l’Atlantique

Projets futurs pour nos deux aéronautes, la traversée de la Méditerranée puis celle de l’Atlantique. Au XVIIIe siècle, les gens qui n’avaient pas moins d’imagination qu’aujourd’hui l’espérèrent aussi. Janvier 1785, au moment où Pilâtre de Rozier attendait, déjà battu, de pouvoir s’envoler vers l’Angleterre, le Journal de Rouen exprimait déjà ce qui ferait plus tard la gloire de Charles Lindbergh en 1927.

«  … on nous écrit de Paris que M. Pilâtre de Rozier n’a pas renoncé … à son entreprise de traverser la mer sur un ballon, et qu’il est retourné à Boulogne pour l’exécuter. Quelqu’un a remarqué, dit-on que puisqu’il n’a pas eu le bonheur de passer la mer le premier, comme il s’en étoit flatté, il pourroit se couvrir d’une gloire immortelle, en se rendant en Amérique. Comme son ballon peut rester six mois en l’air sans déperdition de gaz, il n’a qu’à chercher les vents alizés, et peut-être alors pourroit-il toucher à quelques-unes des Iles du Vent en moins de trois jours. Cette idée, qui paroîtra sans doute folle, ne l’est pas autant qu’on pourroit se l’imaginer. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’y a pas si loin aujourd’hui d’un pareil voyage, qu’il y en avoit il y a trois ans de celui qu’on vient de faire. En effet, qui auroit imaginé dans ce temps-là la possibilité de se rendre par les airs d’Angleterre en France ? »

Blanchard part donc quelques années plus tard pour les États-Unis, parcourant le pays comme il le fit en Europe, pour y exécuter des ascensions aérostatiques. Il revient en France au bout de quatre ans. Le Journal de Rouen, publiera la notice suivante sur notre personnage, décédé le 7 mars 1809 :

« … Il quitta la France à la fin de 1792, pour se rendre à Philadelphie, où il était demandé, et il y fit sa 45e ascension. De là il passa chez les Iroquois et les Illinois, ou il resta deux ans. De retour à Philadelphie, il y exécuta, en 1796, trois automates de grandeur naturelle. Il construisit à New-York, une flotte aérienne avec laquelle il se proposait de repasser en Europe. La foudre, en brûlant son escadre dans le hangar où elle était suspendue et prête à partir, détruisit à la fois la plus chère de ses espérances et l’objet de ses affections, en frappant aussi son fils unique, âgé de 18 ans, et donnant déjà les plus belles espérances. »

La tentative d’une traversée de l’Atlantique en ballon se termina donc de façon dramatique. Il faudra attendre l’avènement de l’aviation puis celui des énormes dirigeables de l’entre-deux-guerres pour que ce rêve soit enfin atteint.

Le 23 mai 1784, Blanchard exécutait une ascension à Rouen. En voici le compte rendu présenté par le Journal de Rouen (j’ai allégé un peu le texte en en retirant quelques longueurs) :

« Il est parti des anciennes casernes à 7 heures 20 minutes, son baromètre étant à 28 pouces 4 lignes, et s’est élevé majestueusement dans les airs. Il a plané longtemps sur la ville ; après quoi un vent violent contre lequel il a luté, a brisé son gouvernail … il a traversé un petit nuage blanchâtre, ensuite un très épais, qui l’a considérablement mouillé, puis il s’est élevé à une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de la glace. Son habit humide par la traversée du nuage, est devenu roide … Il ne s’est décidé à descendre, que parce qu’il appercevoit un nuage orageux, et qu’il voyoit la mer. Il est descendu sans ouvrir la soupape de son globe, mais seulement en faisant agir ses ailes en sens … contraire »

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La Construction d’un Panorama à Rouen

Je suis tombé dernièrement sur un article de presse présentant le projet de construction d’un panorama à Rouen. Celui-ci montrerait une vue de la ville à l’époque de Jeanne d’Arc. La bâtisse fera 26 mètres de haut, 120 de long, la rotonde 30 mètres de diamètre.

Ce projet monumental conduit par la CREA et la Région Haute-Normandie devrait être prêt en 2015, pour un coût de 6 à 7 millions d’euros, soit un peu moins de ce qu’il faudra dépenser pour reconstruire le pont Mathilde.

Il faut savoir que les panoramas étaient très à la mode au XIXe siècle. Au siècle suivant ils ne l’étaient déjà plus. Une fresque en trompe l’œil, aussi grande soit-elle, ne pouvait rivaliser avec l’arrivée de techniques nouvelles telles que la photographie ou le cinéma. Il fallait en outre entretenir à grands frais peinture et bâtiments. L’évolution technique fera très vite, demain, de ce projet coûteux un machin vieillot et ringard, figé, un truc à touristes. Nos élus, nos administrateurs, nos collectivités territoriales, nos administrations, ne sont finalement guère différents de leurs prédécesseurs des siècles passés.

Ceux qui nous Dirigent

Voici ce que disait de l’administration le Journal de Rouen en 1835 :

«L’État, c’est l’administration, voilà en réalité tout le secret du gouvernement à notre époque. Dès lors, l’administration est infaillible, impeccable, irresponsable ; c’est pour elle que la terre a été créée, que l’industrie remue le sol, et que la science demande à l’univers des forces nouvelles. C’est pour l’administration que tout travaille ici-bas. Voilà pourquoi le budget est si ample ; voilà pourquoi l’autorité bureaucratique est si puissamment établie … »

Continuant de plus belle, le journal se risquait à une attaque frontale, pas sans risque à cette époque : « De là vient chez eux l’habitude de se regarder comme très-supérieurs à toute l’humanité ; ils font partie de la caste gouvernante, il leur semble qu’ils ont entre les mains les destinées du ciel et de la terre, et que la société doit toujours et inévitablement suivre l’invariable routine dans laquelle ils se sont endormis. Et le public, aussi disposé qu’eux à les croire infaillibles, s’incline avec respect devant chacun d’eux, en disant : c’est un administrateur ! »

Tout cela n’a pas changé. Ouvrez par exemple la page internet de la CREA et vous tomberez sur un incroyable « Soyez Créa’ctifs ! » Mort de rire ! Comme si l’ingéniosité à communiquer faisait des miracles sur le terrain… Il suffit de venir à Rouen pour s’en rendre compte.

Le Pont Mathilde

A Rouen, les gens qui bossent, dans l’obligation chaque jour de passer par la ville, et pire que tout, de traverser la Seine, ne savent plus à quel saint se vouer depuis presque un an. Parce que l’accident sur le pont Mathilde ne fut ni la résultante d’un mauvais hasard, ni celle de l’agissement d’un conducteur de poids lourd inconséquent, mais le produit de décennies de mauvaise gestion de la circulation routière par les différents organismes censés s’en occuper. Signalisation, infrastructures, laxisme, tout est à revoir ici. A cela s’ajoutait en octobre 2012 travaux en retard sur la place Saint-Paul et fête foraine. Il y avait bien de quoi faire péter un plomb à n’importe quel conducteur. Il fallait aussi bien de la chance à ceux qui ne connaissaient pas la ville pour retrouver leur chemin.

La rentrée arrive, avec elle l’automne, sa météo tristounette, les travaux non terminés, les bouchons, l’auto-satisfaction habituelle de nos élus, le sourire carnassier de Didier Marie, alors voici pour nous consoler un petit article de décembre 1829 qui montre bien qu’à Rouen ce n’était pas mieux avant :

Et pour finir, une petite trouvaille, un peu hors sujet, toujours dans le Journal de Rouen, en 1905 :

« … Lorsqu’une boîte aux lettres est détériorée, la municipalité ne peut la faire remplacer que par une autre boîte fournie par l’administration des postes et payée d’avance. Le maire doit donc adresser un mandat-poste représentant la valeur de la boîte au receveur des postes de Rouen qui avise alors l’administration centrale. Celle-ci avise son fournisseur habituel, M. Lachenal, qui remet la boîte à l’administration centrale pour la transmettre au receveur de Rouen, lequel à son tour l’enverra à la municipalité chargée de la faire installer à la place de l’ancienne. … »

SAINT-LÉGER-DU-BOURG-DENIS
Salle polyvalente Micheline Ostermeyer
13 au 21 avril 2013


LEGACY 57 – 7
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Stéphane Hessel nous a quitté. Deux questions cruciales se posent. Ce personnage méritait-il le succès médiatique qu’il a eu ? Faut-il l’inhumer au Panthéon ? Entre les censeurs et les cireurs de pompes, il n’y aura pas entente.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, Marine Le Pen, présidente du Front National, Nathalie Kosciusko-Morizet et Rama Yade sont désignées par un sondage comme les femmes préférées des Français. Ce sondage, réalisé sur un panel de 990 personnes, pose question sur la réelle représentativité d’un si petit groupe d’individus sensés exprimer l’opinion de 65 millions d’abrutis.

Le nombre de milliardaires ne cesse d’augmenter dans le monde, le magazine Forbes l’affirme. Deux Français, Lillianne Bettencourt et Bernard Arnault, caracolent dans le groupe de tête. Arnault va-t-il enfin obtenir la nationalité belge ou devra-t-il faire comme Depardieu, s’expatrier en Russie ? La Belgique fait la fine bouche, car elle a déjà dépassé son quota d’exilés fiscaux français. Les Wallons s’inquiètent. Il y a trop de Français.

La France se moque de l’Italie. Le succès de Beppe Grillo, le retour de Berlusconi, lui font oublier ses propres errements. Nous, on aurait pourtant bien aimé que cela arrive aussi chez nous. Coluche ou Beppe Grillo, c’est un peu le même combat. Au lieu de cela, on nous refile des Balkany, des Guéant, des Pasqua, des Copé, des Morano, des Hortefeux. Pas de quoi rigoler pourtant….

Le décès d’Hugo Chavez met le monde journalistique en émoi. De président du Vénézuela, voilà notre homme affublé du statut de tête de Turc. Selon le point de vue français, il aurait sans doute mieux fait de s’occuper des riches que des pauvres.

Fin du jour de carence des fonctionnaires en arrêt maladie. Côté privé on restera à trois jours. C’est normal, la mesure était « injuste, inutile et inefficace », « humiliante pour les agents » assure main sur le cœur Marylise Lefourchu, « croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer » aurait-elle ajouté.

L’intervention militaire au Mali avait boosté la popularité de François Hollande et Jean-Marc Ayrault, mais voilà que le soufflé retombe aujourd’hui. En attendant le prochain cocorico, Sarkozy en embuscade grimpe sur son petit tabouret et dit qu’il fera mieux.

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TUÉ D’UN COUP DE FUSIL

« M. Canard, âgé de quarante-six ans, cultivateur à Drucourt, était allé chasser dimanche. Lundi, il a été trouvé inanimé dans un herbage à Saint-Vincent-du-Boulay. Il avait été tué d’un coup de fusil entre les deux épaules. On ignore s’il y a eu crime ou accident. Le parquet de Bernay s’est transporté hier sur les lieux. »

La pire chose qui puisse arriver dans un fait divers, c’est de faire rire aux dépens de la victime. Ce pauvre Monsieur Canard ne pouvait-il pas mourir autrement que d’un accident de chasse ? Cet incident se déroule en 1917, du côté de Bernay, dans l’Eure. Le journal s’interroge : incident de chasse ou crime ? Il faut quand même avouer que ce Monsieur Canard qui chassait tandis que d’autres, nombreux, mouraient sur le front, n’avait guère de cœur semble-t-il.

« Quand un homme a un bec de canard, des ailes de canard et des pattes de canard : c’est un canard. C’est vrai aussi pour les petits merdeux. » (Michel Audiard)

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Durant l’hiver 1830, les Rouennais se plaignaient du peu d’entretien des rues enneigées de leur ville. A cette même époque, on se chamaillait aussi sur le fait d’accorder ou pas une subvention au théâtre. Un lecteur eut l’idée qui aurait pu, si on l’avait écouté, mettre tout le monde d’accord. Dommage que ce personnage ne soit plus parmi nous. Il aurait certainement trouvé une réponse géniale à nos problèmes de circulation dans Rouen, voire au remplacement de notre beau pont Mathilde, cramé, déformé et pas près d’être réparé.

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Les histoires de singes ou de perroquets font toujours sourire, surtout quand ces histoires appartiennent à la vraie vie, ou presque. Le premier article date de 1914, le second de 1846. Un roi des Belges, un général, un curé de paroisse, tous plus sérieux les uns que les autres, sont ici un peu les dindons de la farce.

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En 1764, les « Annonces, affiches et avis divers de Haute et Basse Normandie » reprennent une histoire parue dans un journal anglais. Nous sommes loin du conflit qui vient d’opposer la France à l’Angleterre et qui s’est soldé pour nous par la perte du Canada. On aurait pu penser qu’un sentiment de haine aurait séparé nos deux pays. Mais non !

« Trait singulier, tiré d’une Brochure Angloise, qui paroit depuis peu. Un Voyageur du Comté de Kent, arrivant transi de froid dans une Hôtellerie de campagne, la trouva si remplie de monde, qu’il ne pouvoit aprocher de la cheminée. Que l’on porte vite à mon Cheval un panier d’huîtres, dit-il à l’Hôte. A votre cheval ! S’écrie l’Hôtelier, est-ce qu’il mange des huîtres ! … Faites ce que j’ordonne, repliqua le Voyageur. A ces mots tous les Assistans courent à l’Ecurie, & le Cavalier s’empare du feu. M. dit l’Hôte en revenant, je l’aurois gagé sur ma tête : votre Cheval n’en veut pas…. En ce cas, répond froidement le Maître, il faut donc que je les mange moi-même. »

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PREMIER AVRIL…

« On annonce – mais c’est aujourd’hui le premier avril – que la Ville de Paris, profitant d’un moment calme de la journée, va effectuer des essais d’autobus-avion, afin de décongestionner les principales artères de la capitale… »

Heureusement que le journal annonce bien visiblement que c’est un Premier Avril. Sait-on jamais. Nous sommes en 1936. J’imagine qu’à la rédaction du journal on a dû se poser la question. Expliquer ou pas. En province, il y a toujours des gens pour croire à tout. N’empêche, c’est ce qu’il nous faudrait à Rouen pour traverser la Seine. Comment nos élus n’y ont-ils pas déjà pensé ?

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Et puis, pour finir, en 1809, un trait d’esprit bien méchant pour celui qui en fut l’objet :

« M. R*** lisait une de ses tragédies dans une société de connaisseurs. J’ai tâché, dit-il modestement, d’éviter le gigantesque de Corneille et la fadeur de Racine. – Cela s’appelle, reprit quelqu’un, s’asseoir par terre entre deux chaises. »

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Sources : Archives Départementales de Seine-Maritime

Publicité Dentifrice Dentol

Posted: 27th December 2012 by admin in Histoire
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Une publicité plutôt originale pour l’époque. C’était en temps de guerre. Celle de 14-18. Dans le Journal de Rouen.

- Chez eux, pain K, dentifrice kamelote, mauvaises dents.

- Chez nous, pain blanc, Dentol, bonnes dents.

- Là, peau blanche, manger pain KK, plus de dents.

- Moi, peau noire, dents blanches, grâce au Dentol.

- Les Russes, à bout de munitions, attaqueront avec leurs dents. (Communiqué mars 1915). C’est qu’ils ont de bonnes dents, les Russes ! Et pourquoi cela ? C’est qu’ils se servent de Dentol.

- Les Anglais continuent tous leurs soins de toilette, jusque sur le front. Aucun d’eux n’oublie son flacon de Dentol.

Source : Archives Départementales de Seine-Maritime

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Je suis tombé ce matin sur un article du Monde.fr, « Bernard Arnault voudrait devenir Belge ». Poisson d’avril ou de septembre ? Ce n’est pas sérieux. On ne sait pas bien s’il faut rire ou pester. Certainement le scoop le plus invraisemblable de l’année. A tomber par terre.

Peut-être faudrait-il seulement ne plus employer les termes « Taxation à 75 % » afin d’éviter les crises paniques hystériques de nos grands chefs d’entreprise(s). Déjà qu’ils commencent à défaillir rien qu’en entendant le mot « Taxation », alors « 75 % », c’est visiblement le truc de trop, mortel.

Je me suis alors souvenu qu’il y a quelques années j’avais découpé un article dans Paris-Match pour le coller sur un tableau que j’étais en train de peindre. Le titre de cet article était ahurissant : – Hélène Arnault « Aujourd’hui, être Dior n’est plus être bourgeois, c’est être insoumis » -. Le tableau date de 2002. En haut de la page de Paris-Match, on pouvait lire « De notre envoyée spéciale Élisabeth Chavelet ». Ça au moins, c’était de l’info… Elle fait quoi maintenant, celle-là ? Je cherche sur internet : rédactrice en chef adjointe à Paris-Match. Ah bon…

L’article parlait en particulier du travail de John Galliano qui, depuis, a été éjecté de Dior, l’insoumis s’étant mis à faire dans l’injure antisémite.

Bon, allez, j’arrête là. Ces infos ne mènent nulle part. Juste des histoires d’ego, d’incivisme et d’une extrême bêtise, presque enfantine. Vincent Peillon, notre ministre de l’Éducation, doit avoir raison. Je suis partant pour les cours de morale. Va y avoir un sacré rattrapage à faire. Enfin, quand même, ceux que l’on qualifie pompeusement de “forces vives de la nation” (comme on dit dans le patronat) peuvent aller se faire rhabiller. S’il n’y avait pas l’argent des contribuables français, dont ils profitent ou profitèrent tous, nombre d’entre ces financiers et industriels ne seraient pas installés aujourd’hui en Suisse ou en Belgique, à couver leur pactole pas forcément acquis honnêtement. Ils seraient sur la banquise, comme nous autres les petits pingouins, à se les geler, non à faire bronzer des jours entiers leurs grosses fesses d’éléphants de mer.

Il est interdit de jeter des pierres sur les chars – 2002

J’ai écrit une nouvelle version de ce texte, plus complète et mieux documentée, dans un nouveau post datant de janvier 2017 : “Louis-François-Xavier Declercq”. Quant à ma conclusion sous la forme humoristique d’un Declercq qui aurait eu un petit quelque chose d’un Robin des Bois, je ne l’ai pas conservée. C’était ridicule. Declercq appartenait à un monde prédateur tout autant que ceux qu’il escroquait, et cela ne faisait aucunement de lui un défenseur des pauvres et des opprimés, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais été.

C’est un drôle de titre que celui-là, un peu réducteur, car il escamote quelques autres personnages un peu moins intéressants que Declercq, qui se glissent normalement entre le prince de Soubise seigneur de Préaux et de moult autres terres, décédé en 1787, et le vicomte de Boisgelin qui apparaît à Préaux au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. L’ancienne baronnie de Préaux resta un peu moins d’un siècle entre les mains des Soubise, la Révolution venant mettre un terme à près de mille ans de régime féodal.

Les héritiers de Charles de Rohan prince de Soubise retrouvent la possession de la forêt de Préaux sous le Premier Empire, soit une surface de 400 à 500 hectares à Préaux même, mais en réalité beaucoup plus que cela, car la forêt s’étendait bien au-delà des limites de notre commune, jusqu’à Darnétal et Montmain.

En travaillant sur l’histoire de notre village nous nous étions toujours demandé dans quelles conditions l’ancienne maison noble des Boisgelin s’était installée à Préaux au XIXe siècle. Il se disait que c’était pour services rendus. Cette réponse vague amenait trop de questions. Il nous fallait rechercher les réponses.

A la source de nos recherches : le cadastre napoléonien de Préaux indiquait vers 1830 les noms de nouveaux propriétaires de la forêt, Declercq et Lefebvre, de parfaits inconnus. Nous n’avions que cela.

Les héritiers du Prince de Soubise convoitent les terrains communaux de Préaux

Les terrains communaux de Préaux suscitèrent beaucoup de convoitises au XIXe siècle. Les héritiers de Charles de Rohan essayèrent à plusieurs reprises d’en reprendre possession. Tout d’abord en 1813. Leur représentant tente de manipuler l’Administration forestière, insinuant que ces terrains appartenaient anciennement à la forêt de Préaux et qu’à ce titre ils font partie de la forêt encore aujourd’hui et doivent, tout comme elle, retourner à leurs propriétaires légitimes, les Rohan. L’affaire fut chaude pour les villageois, mais échoua. Rebelote en novembre 1817. Fort du retour de la Monarchie en France, le chargé d’affaires des héritiers engage une procédure et réclame cette fois non seulement les terrains communaux, mais 28 années de redevances non payées. Il faut en convenir, chargé d’affaires et avocats montrèrent ici assez peu d’égard pour la population des deux communes. Manipulation et désinformation furent leurs armes favorites. Après plusieurs jugements successifs et quelques retournements de situation, les héritiers finirent en 1819 par être déboutés.

Celui qui mena ces attaques ne fut autre qu’un certain Declercq, chargé d’affaires des héritiers Rohan. Vers 1817, ces derniers sont Louis-Henry-Joseph, duc de Bourbon Condé, Louise-Adélaïde de Bourbon Condé, Marie Louise-Joséphine de Rohan, princesse de Rochefort, et Berthe-Antoinette-Aglaé de Rohan. Tous sont les héritiers des deux filles de Charles de Rohan, Charlotte de Rohan princesse de Condé (1737 – 1760) d’une part et Madame de Guémené (1743 – 1807) d’autre part, car déjà une génération a passé.

Louis-François-Xavier Declercq

Ce que ne savaient pas, à l’époque, les membres des conseils municipaux de La Vieux Rue et de Préaux, c’est que l’homme qui mena toutes les charges contre les deux communes, ce Declercq, serait bientôt le copropriétaire de la forêt de Préaux, à la place des héritiers Rohan. Il nous manque encore des informations, mais ce que nous avons trouvé nous permet néanmoins de retracer assez fidèlement cette période de notre histoire locale où les terres de Préaux furent l’enjeu de combines extrêmement lucratives. Nous étions en réalité très éloignés de ces “services rendus” qui cachaient au contraire bien des malversations.

Madame de Guémené

Je ne sais pas trop qui fut Madame de Guémené, on a dit d’elle qu’elle était entêtée et avait peu de caractère. En tout cas elle et son mari, le prince de Rohan-Guémené, réalisèrent la plus belle faillite de la fin de l’Ancien Régime. Menant un trop grand train de vie, ils laissèrent une ardoise de 33 millions… De sa famille, Madame de Guémené fut la seule à ne pas fuir à l’étranger pendant la Révolution, afin de protéger leur patrimoine. Ce qui n’empêcha pas le gouvernement de mettre une partie des biens sous séquestre.

Un duo de choc : Declercq et Piat-François-Joseph Lefèbvre

Madame de Guémené mis toute sa confiance en ce Louis-François-Xavier Declercq. Belge, originaire de Tournai, petit fonctionnaire sans fortune, ce dernier grimpe vite les échelons de la société. En 1803, associé à un Lefèbvre-Boucher qui sera toujours de tous les bons coups, il fait déjà l’acquisition du château d’Orcq, acheté au comte de Woestenraedt, chanoine de Tournai, qui avait émigré. Si Declercq fut rusé et ingénieux, les héritiers Rohan montrèrent au contraire dans cette histoire beaucoup de naïveté. Declercq, c’est le loup dans la bergerie. Avec les héritiers Rohan, il trouve les meilleurs citrons à presser, les plus beaux et les plus juteux.

L’associé de Declercq, Lefèbvre-Boucher, n’est autre que Piat-François-Joseph Lefèbvre (1752-1837), négociant, originaire de Tournai lui aussi. Celui-ci a épousé Marie-Robertine-Joseph Boucher et dispose d’assez de fortune pour financer les opportunités que Declercq met en œuvre. Le duo fonctionnera parfaitement pendant une trentaine d’années.

Les combines du chargé d’affaires

Petit-Jean, dans un article du Monde illustré, en 1858, expliquera plus tard les combines de Declercq : « C’était un homme habile que ce Declercq : dès 1797, n’étant encore que simple surnuméraire de l’enregistrement, il avait pénétré du même coup dans la confiance et les affaires de Mme de Guémené. Chargé par elle d’administrer ses biens et de les disputer aux créanciers qui surgissaient de toutes parts, voici comment il s’y prit. Il commença par diminuer, au moyen de baux fictifs, la valeur apparente des immeubles : cette dépréciation amena celle des créances qui se vendirent à vil prix. Faire racheter d’abord ces créances par des hommes à lui, faire poursuivre par les porteurs de titres l’expropriation des immeubles, s’en rendre lui-même adjudicataire et se libérer de son prix en payant au prix de leur valeur nominale ces mêmes créances dont plusieurs avaient été acquises par lui à 14 pour cent de leur valeur réelle, tel fut le mécanisme général du système d’opération, suivi par Declercq. Elles ne pouvaient, comme on voit, s’accomplir qu’à l’aide d’un nombre considérable de prête-noms. Tous ces gens-là eurent, bien entendu, leur part du gâteau. Ce qu’il y a d’individus qui, depuis cinquante ans, ont vécu grassement de la succession Soubise est inimaginable. Quant à Declercq il eut – et c’était justice – la part du lion. »

C’est que petit à petit la tâche de Declercq prend de l’envergure. Il participe à la liquidation de la succession de Charles de Rohan qui concerne un patrimoine immense, composé en partie de créances, mais surtout de biens immobiliers répartis dans toute la France et en Belgique. A cela s’ajouteront d’autres successions, celles de la comtesse de Marsan, sœur de Charles de Rohan, celle du duc de Bouillon aussi. Et puis bien sûr il s’agira aussi de liquider la faillite Guémené, la pièce maîtresse des procédés de notre personnage qui bientôt, les affaires marchant pour le mieux, s’enorgueillit de la profession de banquier.

Comme un poisson dans l’eau…

Petit-Jean continue : « En 1808, Mme de Guéméné décède, laissant pour héritière la princesse de Rohan-Rochefort, sa fille, et la princesse Berthe, duchesse de Montbazon, sa petite-fille. La princesse Berthe rachète la part de sa tante et réunit ainsi sur sa tête tous les droits de la branche dans les trois successions de Guéméné, de Marsan et de Soubise. Puis ces droits eux-mêmes, elle les cède dans leur intégralité à un sieur Declercq, moyennant une somme de 2,115,000 francs. … Declercq, comme je l’ai dit, s’était mis en règle vis-à-vis de la branche des Rohan, en rachetant à la princesse Berthe la totalité de ses droits. Ce traité, ébauché avec la princesse en 1814 et ratifié par les héritiers le 12 janvier 1830, fut tenu secret. Il y avait pour cela deux raisons : la première, c’était d’éviter des droits d’enregistrement considérables ; la seconde, d’empêcher l’exercice du retrait successoral. Un mot barbare qu’il faut que j’explique à mes lecteurs :

Le retrait successoral est le droit donné à un cohéritier d’écarter du partage d’une succession l’étranger qui aurait acheté la part d’un autre cohéritier, à la charge de rembourser le prix que cet acquéreur a légitimement payé. Or, il ne faut pas perdre de vue que la branche des Rohan avait pour cohéritier, dans la succession Soubise et de Marsan, la branche de Bourbon – Condé, que représente aujourd’hui le duc d’Aumale, légataire universel du dernier duc de Bourbon. Longtemps ce deux princes, tout en soupçonnant l’existence d’un acte de cession, se trouvèrent dans l’impuissance de le prouver judiciairement. Declercq et sa veuve niaient tout traité de cette nature, et les princes de Rohan se traînaient à leur remorque. »

Une fortune dépassant les 20 millions de francs

On citera quelques bonnes affaires. En 1812, nos deux compères font l’acquisition du moulin à eau de Saint-Vaast, à Frévent, ancienne propriété de Charles de Rohan. Il y eut aussi les terres et le château de Saint-Pol sur Ternoise, saisis, le domaine et le château de Vigny, près de Pontoise, que Declercq achète en 1822 et revend aux Rohan en 1829. Il y a le domaine de Guémené-sur-Scorff, dans le Morbihan, qui passera lui aussi entre ses mains.

Bien sûr, il arriva parfois que certains héritiers fissent de la résistance, tel le duc de Bourbon, mandataire de la liquidation du prince de Soubise. En 1820 Lefèbvre-Boucher et autres créanciers aux ordres de Declercq font alors saisir les domaines de Vigny et de Longuesse. L’affaire se poursuit devant un tribunal qui déboute les créanciers, ce qui n’empêchera pas Vigny de tomber entre les mains de Declercq quelques temps plus tard. Il est certain que Declercq et Lefèbvre se jouent de leurs opposants, n’hésitant pas à les intimider si nécessaire. On ne les inquiète d’ailleurs qu’assez peu. Ils achètent, revendent. Rares sont les biens qui resteront entre leurs mains. La fortune de chacun des deux hommes croit rapidement. Ils se réservent tout de même quelques-uns des biens qui appartinrent au prince de Soubise, comme Préaux, Beaumont-le-Roger, Carvin, somme toute un remarquable capital foncier, cumulant les hectares de terres et de forêt par milliers. A cela Declercq ajoutait deux hôtels particuliers à Paris dont celui de Masseran, le château d’Orcq en Belgique, ainsi que les terres de Oignies dont je ne connais pas l’origine, qui furent certainement, comme le reste, de bonnes affaires. A son décès en 1838, Declercq était, à lui seul, à la tête d’une fortune dépassant les 20 millions de francs.

Les forêts de Préaux et de Beaumont-le-Roger

Celles-ci appartenaient toutes deux dans les années 1825-1830 aux sieurs Declercq et Lefèbvre-Boucher. Quand en devinrent-ils les acquéreurs ? Je ne puis le dire. La forêt de Préaux représentait environ 2000 ha, répartis sur une dizaine de communes. Dans notre village les deux hommes d’affaires avaient également mis la main sur une imposante bâtisse appelée aujourd’hui « maison du bailliage » qui servait autrefois à la haute justice des barons de Préaux. Comparés à notre bourgeoisie locale de l’époque, aux 69 hectares du sieur Turgis à la fin du XVIIIe siècle, aux 38 hectares du domaine de Bellevue qui permirent à Narcisse Hazard d’occuper le poste de maire de notre commune sous le Second Empire, les 2000 hectares de Declercq et Lefèbvre-Boucher représentaient l’image d’une toute autre société, digne de la noblesse d’autrefois.

Les épousailles du sieur Declercq

Declercq épouse le 28 avril 1834 Henriette-Aline-Françoise-Ghislaine Crombez, née à Tournai le 5 juillet 1812. Il a une soixantaine d’années, elle en a 21. Elle est la petite-fille de Piat-François-Joseph Lefèbvre, l’associé de toujours. Un beau coup de plus à mettre à l’actif de Declercq qui gardera ainsi un peu plus la main sur les forêts de Préaux et de Beaumont-le-Roger. A se demander si cet homme n’avait pas un tiroir caisse à la place du cerveau… Enfin, bref, tout lui réussissait.

Tournai, point zéro

Nous l’avons vu, nos deux personnages principaux étaient originaires de Tournai, en Belgique. La-bas, dans la région, Declercq et Lefèbvre avaient pris sous leur aile un certain Lehon, fils d’un notaire du bourg d’Anthoing. Ils avaient fait le projet de l’installer à Paris. Certainement à bon escient. Un notaire, ce peut être très avantageux d’en avoir un sous la main, surtout pour notre duo qui construit sa fortune sur l’immobilier. Des 400.000 francs que coûtent la charge de notaire et l’achat de la clientèle de Me Cazes en 1825, Declercq et Lefèbvre-Boucher avancent 250.000 francs, Declercq se portant caution pour le reste.

Les affaires de Lehon marchèrent bien pendant un temps, mais ne survivront pas au décès de Lefebvre en 1837 puis à celui de Declercq l’année suivante. En 1842, notre notaire « dont la déconfiture occupe Paris et toute la France » est déclaré en faillite. Il laisse un passif de 7 millions. Un notaire en faillite, même au XIXe siècle cela ne se voyait guère. La France rigolait. Incompétent, Lehon ne pouvait guère servir que les intérêts des deux compères. Sans eux, il ne fut sans doute plus rien. La veuve Declercq s’empressa de réclamer les 250.000 francs, mais sera déboutée à l’issue de plusieurs procès.

A un certain moment apparaît un autre associé, un banquier nommé Lefèbvre-Meuret, de Tournai lui aussi. Celui-ci s’est associé avec Declercq dans les années 1830 dans la liquidation de la succession Bouillon. Il ne faut pas chercher bien loin. Un fils de Piat-François-Joseph Lefèbvre épousa une Louise Meuret. C’est aussi simple que cela. Les affaires restaient ainsi dans la famille. Tout le monde en profita.

Conflit avec le duc d’Aumale

Une fois les sieurs Declercq et Lefèbvre disparus, les affaires tournent assez mal pour la veuve Declercq. Les accusations pour fraude et dol tombent de toute part. La veuve doit aussi se défendre contre sa propre famille. On trouve trace de procès entre la veuve Declercq et les héritiers Lefèbvre-Boucher en 1841, 1842, 1844… Puis c’est au tour du duc d’Aumale en 1845, également des princes de Castille. « Un jugement de 1849 déclara que le sieur Declercq, mandataire de la famille de Rohan, n’avait pas obéi aux lois de la délicatesse ». Attaques de créanciers, d’héritiers de créanciers, histoires de prête-noms, feront le quotidien des années qui suivront, jusque dans les années 1870, des faits souvent marqués de prescription. Mais le grand moment fut cette procédure qu’engagea le duc d’Aumale contre la Veuve Declercq.

En 1858, un article de l’Illustration indique que le duc d’Aumale a gagné son procès, La veuve ayant finalement admis l’entente entre son mari et la princesse Berthe, duchesse de Montbazon. Albert de Lasalle écrit lui-même, « Vous croyez sans doute que la liquidation, ainsi déblayée de cette grave question, va marcher d’un bon pas et toucher vite à son terme : détrompez- vous. « C’est beaucoup espérer, a dit Me Léon Duval, d’en rêver la fin dans moins d’un siècle. » Et Me Duval est en situation de savoir à quoi s’en tenir. »

En fait, l’affaire se terminera par une transaction qui restera secrète. Les deux parties négocièrent donc, le duc d’Aumale recevant un énorme dédommagement qui ne plongea certainement pas la veuve Declercq dans la misère. On ne remit pas en question les ventes de biens qui depuis des dizaines d’années s’étaient déroulées dans la plus totale irrégularité. Il n’y eut pas vraiment de perdant. Le duc d’Aumale n’alla pas plus loin et l’affaire en resta là. Declercq et Lefèbvre étant décédés, cela n’avait pas de sens non plus. L’illustration indiquera finalement « Et voilà comment l’affaire de la succession Soubise n’obtient dans le monde qu’un succès d’estime. »

Henriette Declercq à Oignies

La veuve Declercq ne finira donc pas sur la paille, loin de là. En dépit des procès, Henriette était déjà en train de se refaire pendant ce temps une nouvelle santé financière, à Oignies. Car c’est dans le parc même de son château qu’on découvrit du charbon en 1842. Henriette sera à l’origine de la Compagnie des Mine de Dourges fondée en 1856, après avoir obtenu en 1852 la première concession minière du bassin du Pas-de-Calais.

Les Boisgelin à Beaumont-le-Roger

Le couple Declercq eut deux enfants, Berthe-Aline-Françoise-Marie née en 1835, et Louis-Constanstantin-Henri-François-Xavier né en 1837. En 1855, la Veuve Declercq marie sa fille à Alexandre-Marie de Boisgelin, en pleine période de procès, sans que cela ne semble déranger qui que ce soit. C’est que la famille Declercq possède une grande qualité, qui fait oublier tout le reste aux Boisgelin. Elle est extrêmement riche. Il y a aussi la forêt de Beaumont-le-Roger qui compte beaucoup pour une famille noble attachée à l’apparence et aux traditions. En outre les projets miniers à Oignies se montraient déjà très prometteurs. Martial Delpit, député à l’assemblée nationale, écrira dans son journal en 1871 « J’ai dans mon bureau M. de Clercq, le fils de la richissime Mme de Clercq. »

En 1865, Édouard Vittecoq, évincé de sa fonction de maire de Beaumont-le-Roger par Alexandre-Marie de Boisgelin, règle ses comptes avec ce dernier qui a décidé d’écarter les habitants des anciens usages de la forêt. « Après M. Declercq, après madame Declercq, est survenu M. de Boisgelin, leur gendre, tenant en sa main sa riche dot, une belle dot, ma foi, ou plutôt celle de sa femme. Il a fait aussitôt retentir tous les échos de notre forêt des bruyants éclats de son cor de chasse. A cela je ne trouve rien à redire. Je ne lui dénie pas ses droits de propriétaire, je les proclame hautement sacrés, légitimes, inviolables ; mais qu’il reconnaisse aussi les nôtres ! ». En effet, avant le mariage avec la fille de Declercq, les Boisgelin ne possédaient qu’une maison à Beaumont-le-Roger. La fortune de Declercq leur permet désormais de jouer un rôle politique dans le département de l’Eure. L’époux de Berthe De Clercq – le nom s’écrit comme cela dorénavant, la mode étant aux châteaux, aux titres et aux particules au XIXe siècle –, Alexandre-Marie de Boisgelin, sera non seulement maire de Beaumont-le-Roger, mais conseiller général du canton.

Après la fortune : la politique, les bonnes œuvres, la reconnaissance

Installée sur son domaine de Oignies, une propriété de 1200 ha, Henriette De Clercq vit une belle existence et joue désormais à la bienfaitrice de ce lieu. Elle y mourra en 1878, honorée encore aujourd’hui. Son fils, Louis-Constantin-Henri-Xavier De Clercq, suivra un chemin parallèle à celui de son beau-frère. Lui, il sera maire d’Oignies, député du Pas-de-Calais, conseiller général du canton de Carvin, accessoirement photographe amateur et grand collectionneur d’antiquités du Moyen-Orient, une collection qui aujourd’hui se trouve au Louvre.

N’oublions pas les descendants en Belgique de Piat-François-Joseph Lefèbvre. On parlera plus tard de l’immense fortune de Benjamin Crombez (1832-1902), à l’origine de la station balnéaire de Nieuport-Bains qu’il voulait nommer Crombezville, mais aussi de son frère Louis (1818-1895), bourgmestre de Tournai en 1872. Tous les deux étaient les frères d’Henriette, la Veuve De Clercq.

Retour à Préaux

Voilà donc comment arrivèrent les vicomtes de Boisgelin à Préaux. Ils y resteront un peu plus d’un siècle. Tout cela grâce à ce Declercq qui changea le cours de notre histoire locale pour lui donner un peu plus de piment et d’intérêt. Declercq et Lefèbvre n’avaient aucun scrupule, mais faut-il pour autant plaindre les héritiers Rohan de s’être fait déposséder aussi sottement ? Certainement pas. Le monde fonctionne ainsi, comme une grande pièce de théâtre. D’habitude ce sont les gros qui plument les petits. Declercq fut en quelque sorte un Robin des Bois à la mode belge. Il garda tout pour lui.

Reste encore à savoir s’il faut écrire Declercq, De Clercq ou de Clercq. Je vous renvoie donc à l’article d’echo62.com qui vous donnera les explications : « Les descendants de Madame De Clercq ont découvert Oignies avec Onyacum, association d’histoire locale. »

Bibliographie et sources
Achile Morin, Adolphe Chauveau, Journal des avoués, volume 67 , de Cosse et Dumaine, Paris 1844
Adolphe Chauveau, Journal des avoués, volume 73, Cosse et Delamotte, Paris 1848

Petit-Jean dans Le Monde illustré, Août 1858
Ambroise Bosviel : Consultation pour 1° Plusieurs créanciers des successions de Rohan-Guéménée 2° M. Navoit agissant comme cessionnaire d’autres créanciers contre madame Veuve Declercq et ses enfants, 1867
Archives Départementales Seine-Maritime
Archives municipales Préaux 76
BORA Archives privées – Fond Rohan-Bouillon aux Archives nationales à Paris, dépôt du comte Henri de Boisgelin dans les années 60-70.
Édouard Vittecoq, ancien maire de Beaumont-le-Roger, Les droits de la ville et des habitants de Beaumont-le-Roger sur la forêt, Guignard, Évreux 1866
Hoverlant de Bauwelaere, Essai chronologique pour servir à l’histoire de Tournay, Tournai 1832
H. Saint Denis, Notice historique de Beaumont-le-Roger, 1888
Jean Baptiste Sirey, Jurisprudence de la cour de cassation de 1791 à 1813, Laporte 1822
Journal des avoués, volume 93, Marchal et Cie, Paris 1868
Journal du Palais, Volume 2, Paris 1847
Journal du Palais, Volume 17, Paris 1857
Jules Dufaure, Lorget (avoué), Mme veuve De Clercq contre M. le duc d’Aumale. Succession du maréchal de Soubise. Réplique de Me Dufaure, défendeur de Mme De Clercq, 1858
Le Cabinet de lecture et le cercle réunis : gazette des familles , volume 12, 1841
L’illustration , volume 32, Paris 1858
Louis Chauvelot (avoué), Affaires des héritiers Navoit … contre Mme Declercq et autres … Jugement dont est appel, 1870
Meline, Cans, Pasicrisie ou Recueil général de la jurisprudence des cours de France et de Belgique , 1851
Pol Defosse (dir.), Jean-Michel Dufays, Martine Goldberg Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, éditions Luc Pire, Bruxelles 2005
Roger Huetz de Lemps, Aumale L’Algérien, Nouvelles éditions latines, 1961
Société historique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et de Hurepoix, Service de documentation et de cartographie géographiques, Mémoires et Documents, volume 10, Picard 1964
Wikipedia
A voir également les liens ci-dessous :
http://www.vigny.fr/content/content1456.html
http://www.infobretagne.com/guemene-sur-scorff.htm
http://asso.nordnet.fr/aramnord/que_savoir/moulin_frevent.htm
http://www.labeilledelaternoise.fr/actualite/viewArticle.php?idArticle=1039

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On peut voir aujourd’hui dans le chœur de l’église de Préaux un ensemble de six stalles. Ces stalles, au décor assez peu chargé, représentent l’un des éléments les plus remarquables du mobilier actuel de l’église de notre village.

En 1775 les trésoriers de la fabrique font l’acquisition pour la nouvelle église de Préaux d’une partie du mobilier liturgique de l’église du prieuré de Beaulieu installé à Bois-l’Évêque, cette communauté religieuse ayant été dissoute quelques années plus tôt. Ces stalles, à l’iconographie tout aussi bien religieuse que profane, sont estimées au premier quart du XVIe siècle.

De belles miséricordes ornent le dessous des abattants des sièges, ornées de scènes tirées des textes sacrés, Samson terrassant un lion, un ange annonçant l’apocalypse, Moïse tenant les tables de la loi, Adam et Ève chassés du Paradis terrestre, mais aussi de quelques éléments appartenant à l’imaginaire profane, un dragon symbolisant la mort et le mal, une tête de lion pour le courage et la force, qualités essentielles assimilées à cet animal. La lutte entre le bien et le mal bien sûr, thème majeur au Moyen Âge.

Nous ne trouvons sur ces stalles aucune description de la vie quotidienne, rien de grivois non plus, comme souvent ce type d’iconographie pouvait être choisi pour orner des miséricordes. Sur les appuis-main se tiennent de petits personnages, un cygne, oiseau symbolique, mais aussi de petits bonshommes sympathiques sculptés en ronde bosse, assis, habillés à la mode du Moyen Âge, pèlerins ou bergers, ecclésiastiques, mais aussi, semble-t-il, (rois) mages de l’Évangile portant leurs offrandes.

Huchiers et Imagiers

Nous ne saurons pas qui furent ces huchiers et imagiers, auteurs de ce mobilier. Si l’histoire a gardé les noms des artisans ayant travaillé sur les ensembles les plus prestigieux comme ce fut le cas pour les stalles de la cathédrale de Rouen faites entre 1457 et 1469, elle oublia ceux qui œuvrèrent pour Beaulieu. Nous ne pouvons que tenter d’essayer de comprendre un peu l’imaginaire des commanditaires ou acquéreurs de ces travaux, les chanoines réguliers de l’ordre de Saint-Augustin installés au prieuré, d’appréhender également les évènements qui entourent l’époque où furent créées les stalles.

Les chanoines de Beaulieu

Visiblement, notre communauté de chanoines était sensible à la pensée symbolique du Moyen Âge chrétien. Les décors choisis en témoignent. Seul oiseau sculpté, le cygne représente la pureté, mais aussi la métamorphose. Oiseau de légende, le cygne fait partie depuis la nuit des temps de la mythologie occidentale.

En ce début du XVIe siècle, période charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance, le prieuré de Beaulieu vit encore de belles heures. L’embellissement du prieuré est alors à l’ordre du jour et surgit ici comme une note d’optimisme. Il y avait alors 22 stalles dans le chœur de l’église du prieuré. Nous ne savons pourtant pas grand chose du quotidien des chanoines à cette époque. Depuis le milieu du siècle précédent, la paix s’est installée, vaguement troublée en 1472 par la chevauchée sanguinaire de Charles le Téméraire venu un instant tenter d’assiéger Rouen. Sous l’impulsion de l’archevêque Georges d’Amboise, élu en 1493, Rouen s’ouvre à la Renaissance. Un peu partout on a relevé les ruines, reconstruit le pays. La Normandie est sortie exsangue de la guerre de Cent Ans. Ici, la place forte de Préaux a changé de mains à plusieurs reprises. La peste noire a fait mourir bien des gens.

Tout n’est cependant pas fini… La conjoncture économique médiocre provoque une forte inflation, le « petit âge glaciaire » favorise quant à lui disettes et épidémies. C’est d’ailleurs une épidémie de peste vers 1520 qui obligera la ville de Rouen à construire des galeries autour de l’aître Saint-Macloud afin d’y conserver les ossements, le cimetière étant déjà devenu trop petit après seulement 80 ans d’existence. La peste sévit de façon endémique, réapparaissant à intervalle régulier. Elle retrouvera une nouvelle vigueur à la fin du siècle. La guerre aussi reprendra bientôt, et de la plus sale manière, sous la forme d’une succession de guerres civiles où s’affronteront non seulement les États, mais aussi les partis catholique et protestant. Anne de Montmorency, acquéreur de la baronnie au milieu du siècle, s’y adonnera à plein temps, disputant aux Bourbon et aux Guise les affaires du pays au travers des histoires de culte. Le prieuré souffrira beaucoup des guerres de religions. Il sera mis à sac par les protestants venus de Rouen et ne s’en remettra jamais.

Le déclin du prieuré de Beaulieu

En fait, le prieuré était déjà en déclin depuis bien longtemps. Avant le début de la guerre de Cent Ans, les barons de Préaux commençaient déjà à délaisser Préaux pour leur fief de Dangu, dans l’Eure, que l’union avec Blanche Crespin leur avait apporté en dote. Les inhumations les plus tardives de membres de la maison de Préaux dans leur chapelle du prieuré de Beaulieu ne dépassent donc pas le XIVe siècle, la Dame Malet de Graville en 1331, la toute dernière au début de la guerre de Cent Ans, celle de Robert de Préaux, archidiacre de Rouen, décédé en 1341. Les derniers barons de Préaux, de la lignée principale, iront mourir en terre anglaise, Pierre en 1360 ou 1361, d’une épidémie qui fit de nombreuses victimes dans la population, mais aussi parmi les otages français, également son fils Jean parti le remplacer, mais qui ne rentrera pas en France.

De nouveaux seigneurs, les barons de Ferrières, prendront possession de la baronnie à la fin de la guerre, au milieu du XVe siècle. Le sang des anciens seigneurs de Préaux coule dans leurs veines, celui de Jeanne de Préaux qui épousa un Ferrières, apportant ainsi la baronnie en héritage à cette maison noble. Les Ferrières se plaisent eux aussi à Dangu. Là-bas ils transforment le château féodal, abattent les fortifications pour aménager de nouveaux bâtiments faits pour bien vivre. A Préaux, tout au contraire, la forteresse reste en l’état. Les descendants des seigneurs de Préaux se font dorénavant inhumer à Dangu, dans les églises Saint-Jean-Baptiste et Notre-Dame-de-la-Motte.

Épilogue

Aujourd’hui, le prieuré a pratiquement disparu, ne subsistant plus que par la présence de quelques ruines dans une ferme. Ne reste plus que le mobilier réparti ici et là. Le retable a élu domicile dans l’église de Bois-L’Évêque, et en dehors de ce qu’il se trouve dans l’église de notre village, nous n’avons pas de renseignements sur la destination que prirent les autres pièces. Dom Carton, curé à Préaux entre 1762 et mai 1791, qui fut lui-même chanoine à Beaulieu, fit certainement tout son possible pour ramener à Préaux le maximum de ce qui pouvait encore l’être. Il alla jusqu’à retrouver et replacer en 1782 les statues en terre cuite de chaque côté du maître-autel, lui aussi de Beaulieu, de la même façon qu’elles étaient installées au prieuré.

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Visite du cimetière monumental cet été. C’est un bel endroit, dominant la ville, tranquille. On y croise peu de monde, les vieilles pierres n’intéressent personne. C’est parfait. En tout cas, ici, on ne voit pas encore les touristes se faire photographier devant les tombes.

J’aime la présence de ces médaillons en relief, surtout lorsque le soleil fait apparaître les ombres portées. Tout à droite, Louis Bouilhet. Au centre le docteur Pierre-Armand-Narcisse Bottentuit. Celui-là naquit à Rouen en 1806 et mourut en 1879. Entre-temps il fut médecin en chef de l’hospice de Darnétal puis il fonda l’établissement hydrothérapique de Rouen, rue du Champ des Oiseaux. Le personnage de gauche n’eut guère le temps d’entreprendre quoi que ce soit, il mourut bien trop tôt, mais, comme nous le voyons ici, sa famille conserva cette belle habitude de représentation en médaillon.

Voici le caveau de la famille Flaubert. A l’extrême gauche, la tombe de Gustave Flaubert, toute simple, toute menue dans ce cimetière regorgeant de monuments et de chapelles funéraires. Toute proche, on trouvera aussi celle du poète Louis Bouilhet qui garde l’image de ce visage qui fut presque la copie conforme de celui qui fut son ami. Louis Bouilhet disparut le premier, en juillet 1869, Flaubert le 8 mai 1880.

1880….. Le 22 mars de cette même année, Flaubert recevait chez-lui, à Croisset, près de Canteleu, Guy de Maupassant, Alphonse Daudet, Émile Zola, Georges Carpentier et Edmont Goncourt. Ce dernier décrivait leur joyeux hôte en ces termes : « nous voici reçus par Flaubert en chapeau calabrais, en veste ronde, avec son gros derrière dans son pantalon à plis et sa bonne tête affectueuse ». Moins de deux mois plus tard, Flaubert s’éteignait. Zola raconta l’enterrement, le cortège, les chantres si médiocres, la froideur de l’église, la routine, l’indifférence de la population, les badauds. En me plaçant près du caveau, j’imaginai la cérémonie, je foule la même terre que foulèrent il y a un peu plus de 130 ans Goncourt, Zola, Maupassant, Daudet… Eux-aussi passèrent près de la tombe de Bouilhet. Je le fais à mon tour en pensant à eux. Le cercueil de Flaubert, trop grand, ne voulut pas entrer dans le caveau et resta coincé « la tête en bas ». Zola et les autres n’en supportèrent pas plus et s’en allèrent, le cœur empli de tristesse. Je continuai mon chemin.

Et puis il y a la tombe de Francis Yard. Je remonte dans le temps de l’enfance et me souviens de ces satanées poésies qu’il fallait apprendre par cœur. Mais celles de cet auteur me plaisaient. C’était le temps ou il fallait se farcir les Verhaeren, Verlaine, Rimbaud et autres confrères. A l’âge que nous avions, nous nous en foutions un peu. Pauvre Émile Verhaeren, j’aurais sans doute mis un peu plus de cœur à ingurgiter ses poésies si l’on m’avait raconté alors cet incident idiot qui le poussa sous les roues d’un train dans la gare de Rouen. Francis Yard n’eut pas non plus une fin très marante. Je ne parle même pas de Rimbaud et de Verlaine qui ne furent pas non plus à la fête.

La femme et les deux enfants de Francis Yard reposent dans le cimetière de Varengeville-sur-Mer, face à la mer.

Ici repose Marcel Duchamp, l’inventeur du ready-made, un mec fichtrement malin qui fit prendre au monde entier des vessies pour des lanternes. Il dut bien en rire. N’empêche, je trouve cette idée extraordinaire, d’autant plus que cela permit d’ouvrir bien des portes, faisant évoluer l’art vers d’autres espaces, d’autres dimensions. Après Duchamp, dans l’ordre d’importance, je place Piero Manzoni et ses conserves de Merde d’Artiste. Une farce géniale ! Et qui se vend à prix d’or sur le marché de l’art. A côté d’eux, les Warhol, Hockney, Koons, Freud, ne sont que des rigolos. Ont-ils d’ailleurs vraiment inventé quelque chose, ceux-là ?

Maintenant, quand je vois Pinoncelli ébrécher à coups de marteau l’un des exemplaires de l’urinoir de Duchamp, euh… pardon, la fontaine de Duchamp lors de l’exposition dada au centre Pompidou en 2005-2006 (il le fit déjà en 1993 ; est-ce de l’obsession ?), faire de son geste une œuvre d’art dans l’esprit Dada, je me marre quand même un peu. Il me suffit pourtant d’imaginer la tête que firent les responsables du musée, qui ne possèdent certainement pas cet esprit-là, pour passer un bon quart d’heure. Peut-être même qu’un jour ce ne sera pas sur une reproduction de Mona Lisa que l’on dessinera, comme le fit Duchamp, une barbe et des moustaches, mais bien sur l’original que quelqu’un barbouillera quelques symboles subtils.

Marcel Duchamp est né en 1887 dans un village proche d’ici, à Blainville-Crevon. Francis Yard et Marcel Duchamp appartenaient donc quasiment à la même génération…

Les tombes des gens de génie sont souvent banales, celles des hommes politiques parfois monstrueuses. Voilà les édifices funéraires de deux maires de Rouen de la seconde moitié du XIXe siècle, Charles Verdrel et Étienne Nétien, tous deux négociants. C’est pompeux, presque grotesque. Il n’y a pas de poésie ici. Juste du marketing. On en prend plein la tronche, c’est tout. Où est l’art dans ce fatras de symboles et d’académisme ? Une histoire d’ego ? Cela me rappelle le débat à propos du lieu d’inhumation de Jean Lecanuet. Ce dernier repose aujourd’hui avec sa femme dans l’abbaye de Saint-Georges de Boscherville. Le Panthéon, il n’a sans doute pas osé le demander, par excès de modestie.

Et puis, enfin, le monument funéraire de François-Adrien Boieldieu, compositeur né en 1775 à Rouen. Le cœur est ici, le reste au Père Lachaise. Le monument a été offert par la commune de Rouen, pareillement à ceux des maires précités… Oui, oui, j’arrive avec mes gros sabots, mais non, je ne parlerai pas de l’art officiel ou de cet art glauque, couleur guimauve, qui aujourd’hui encore fait les beaux jours des galeries et des artistes normands.

Le monument funéraire de la famille Dumanoir. Juste-Isidor Dumanoir fut un bienfaiteur notoire. Il naît en 1804. Décédé en 1859, il est à l’origine au XIXe siècle de deux fondations en Seine-Inférieure, l’une pour récompenser la belle conduite d’un ouvrier ou d’un domestique, l’autre une belle action. Personnage généreux, humaniste, aux valeurs conformes à celles que professait la bourgeoisie catholique de l’époque qui aspirait à une société paternaliste, religieuse, aux fortes valeurs de travail, de mérite, de vertu, de patriotisme et de respect de l’ordre social. Drôle de société que fut celle du XIXe siècle, coincée entre conservatisme et modernité, entre humanisme et libéralisme. Le libéralisme y fit des ravages et continue de plus belle aujourd’hui. En ce qui concerne le monument, je crois bien qu’on le doit à Eugène Barthélemy, cet architecte diocésain bien connu dans notre région, et accessoirement préautais quand il quittait son domicile de Rouen pour sa maison de campagne à Préaux. C’est d’ailleurs l’un des personnages locaux les plus intéressants de l’histoire de notre commune. Il a laissé ici de nombreuses traces de son passage.

Voici une tombe, véritable monument, destinée à sauvegarder la mémoire d’un fils décédé, tué dans son exercice de garde national de Rouen en 1848, à Paris. Combien d’ouvriers et de républicains ont-ils laissé leur peau dans cette révolution qui fut matée par les partisans de l’ordre et du respect des lois ? La France de la Seconde République n’était pas encore républicaine. Il faudra attendre encore avant qu’elle ne le devienne réellement, sous la Troisième République seulement, après le Second Empire. La population rurale, conservatrice, ne bougera pas le petit doigt lorsque que l’on écrasera en 1848 les révoltes en province puis à Paris. A Rouen, les gardes nationaux bourgeois se chargeront seuls de cette tâche car on n’osa pas armer les autres de peur de les voir passer dans le camp adverse. Dans un état de frousse et d’excitation, arrogants, ils commirent, au nom de l’ordre, bien des crimes, largement soutenus par l’armée qui obéit toujours. On les enverra un peu plus tard, en juin, à Paris, se charger du même travail. Comme à Rouen, on utilisera l’artillerie contre les barricades. Mais voilà, il arrivait parfois, par hasard, accidentellement, qu’un soldat ou un garde national tombe à son tour. Ce n’était que justice. Ce jeune et fier garde national n’eut donc guère de chance. Le conseil municipal de Rouen rapatria le corps et offrit ce monument à ce triste héros, défenseur de l’injustice et mort pour pas grand chose.