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On peut voir aujourd’hui dans le chœur de l’église de Préaux un ensemble de six stalles. Ces stalles, au décor assez peu chargé, représentent l’un des éléments les plus remarquables du mobilier actuel de l’église de notre village.

En 1775 les trésoriers de la fabrique font l’acquisition pour la nouvelle église de Préaux d’une partie du mobilier liturgique de l’église du prieuré de Beaulieu installé à Bois-l’Évêque, cette communauté religieuse ayant été dissoute quelques années plus tôt. Ces stalles, à l’iconographie tout aussi bien religieuse que profane, sont estimées au premier quart du XVIe siècle.

De belles miséricordes ornent le dessous des abattants des sièges, ornées de scènes tirées des textes sacrés, Samson terrassant un lion, un ange annonçant l’apocalypse, Moïse tenant les tables de la loi, Adam et Ève chassés du Paradis terrestre, mais aussi de quelques éléments appartenant à l’imaginaire profane, un dragon symbolisant la mort et le mal, une tête de lion pour le courage et la force, qualités essentielles assimilées à cet animal. La lutte entre le bien et le mal bien sûr, thème majeur au Moyen Âge.

Nous ne trouvons sur ces stalles aucune description de la vie quotidienne, rien de grivois non plus, comme souvent ce type d’iconographie pouvait être choisi pour orner des miséricordes. Sur les appuis-main se tiennent de petits personnages, un cygne, oiseau symbolique, mais aussi de petits bonshommes sympathiques sculptés en ronde bosse, assis, habillés à la mode du Moyen Âge, pèlerins ou bergers, ecclésiastiques, mais aussi, semble-t-il, (rois) mages de l’Évangile portant leurs offrandes.

Huchiers et Imagiers

Nous ne saurons pas qui furent ces huchiers et imagiers, auteurs de ce mobilier. Si l’histoire a gardé les noms des artisans ayant travaillé sur les ensembles les plus prestigieux comme ce fut le cas pour les stalles de la cathédrale de Rouen faites entre 1457 et 1469, elle oublia ceux qui œuvrèrent pour Beaulieu. Nous ne pouvons que tenter d’essayer de comprendre un peu l’imaginaire des commanditaires ou acquéreurs de ces travaux, les chanoines réguliers de l’ordre de Saint-Augustin installés au prieuré, d’appréhender également les évènements qui entourent l’époque où furent créées les stalles.

Les chanoines de Beaulieu

Visiblement, notre communauté de chanoines était sensible à la pensée symbolique du Moyen Âge chrétien. Les décors choisis en témoignent. Seul oiseau sculpté, le cygne représente la pureté, mais aussi la métamorphose. Oiseau de légende, le cygne fait partie depuis la nuit des temps de la mythologie occidentale.

En ce début du XVIe siècle, période charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance, le prieuré de Beaulieu vit encore de belles heures. L’embellissement du prieuré est alors à l’ordre du jour et surgit ici comme une note d’optimisme. Il y avait alors 22 stalles dans le chœur de l’église du prieuré. Nous ne savons pourtant pas grand chose du quotidien des chanoines à cette époque. Depuis le milieu du siècle précédent, la paix s’est installée, vaguement troublée en 1472 par la chevauchée sanguinaire de Charles le Téméraire venu un instant tenter d’assiéger Rouen. Sous l’impulsion de l’archevêque Georges d’Amboise, élu en 1493, Rouen s’ouvre à la Renaissance. Un peu partout on a relevé les ruines, reconstruit le pays. La Normandie est sortie exsangue de la guerre de Cent Ans. Ici, la place forte de Préaux a changé de mains à plusieurs reprises. La peste noire a fait mourir bien des gens.

Tout n’est cependant pas fini… La conjoncture économique médiocre provoque une forte inflation, le « petit âge glaciaire » favorise quant à lui disettes et épidémies. C’est d’ailleurs une épidémie de peste vers 1520 qui obligera la ville de Rouen à construire des galeries autour de l’aître Saint-Macloud afin d’y conserver les ossements, le cimetière étant déjà devenu trop petit après seulement 80 ans d’existence. La peste sévit de façon endémique, réapparaissant à intervalle régulier. Elle retrouvera une nouvelle vigueur à la fin du siècle. La guerre aussi reprendra bientôt, et de la plus sale manière, sous la forme d’une succession de guerres civiles où s’affronteront non seulement les États, mais aussi les partis catholique et protestant. Anne de Montmorency, acquéreur de la baronnie au milieu du siècle, s’y adonnera à plein temps, disputant aux Bourbon et aux Guise les affaires du pays au travers des histoires de culte. Le prieuré souffrira beaucoup des guerres de religions. Il sera mis à sac par les protestants venus de Rouen et ne s’en remettra jamais.

Le déclin du prieuré de Beaulieu

En fait, le prieuré était déjà en déclin depuis bien longtemps. Avant le début de la guerre de Cent Ans, les barons de Préaux commençaient déjà à délaisser Préaux pour leur fief de Dangu, dans l’Eure, que l’union avec Blanche Crespin leur avait apporté en dote. Les inhumations les plus tardives de membres de la maison de Préaux dans leur chapelle du prieuré de Beaulieu ne dépassent donc pas le XIVe siècle, la Dame Malet de Graville en 1331, la toute dernière au début de la guerre de Cent Ans, celle de Robert de Préaux, archidiacre de Rouen, décédé en 1341. Les derniers barons de Préaux, de la lignée principale, iront mourir en terre anglaise, Pierre en 1360 ou 1361, d’une épidémie qui fit de nombreuses victimes dans la population, mais aussi parmi les otages français, également son fils Jean parti le remplacer, mais qui ne rentrera pas en France.

De nouveaux seigneurs, les barons de Ferrières, prendront possession de la baronnie à la fin de la guerre, au milieu du XVe siècle. Le sang des anciens seigneurs de Préaux coule dans leurs veines, celui de Jeanne de Préaux qui épousa un Ferrières, apportant ainsi la baronnie en héritage à cette maison noble. Les Ferrières se plaisent eux aussi à Dangu. Là-bas ils transforment le château féodal, abattent les fortifications pour aménager de nouveaux bâtiments faits pour bien vivre. A Préaux, tout au contraire, la forteresse reste en l’état. Les descendants des seigneurs de Préaux se font dorénavant inhumer à Dangu, dans les églises Saint-Jean-Baptiste et Notre-Dame-de-la-Motte.

Épilogue

Aujourd’hui, le prieuré a pratiquement disparu, ne subsistant plus que par la présence de quelques ruines dans une ferme. Ne reste plus que le mobilier réparti ici et là. Le retable a élu domicile dans l’église de Bois-L’Évêque, et en dehors de ce qu’il se trouve dans l’église de notre village, nous n’avons pas de renseignements sur la destination que prirent les autres pièces. Dom Carton, curé à Préaux entre 1762 et mai 1791, qui fut lui-même chanoine à Beaulieu, fit certainement tout son possible pour ramener à Préaux le maximum de ce qui pouvait encore l’être. Il alla jusqu’à retrouver et replacer en 1782 les statues en terre cuite de chaque côté du maître-autel, lui aussi de Beaulieu, de la même façon qu’elles étaient installées au prieuré.

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