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Stratégie de communication


L’Iris Challenger II

Devant les caméras de la télévision le dirigeable a décollé ce matin du cap Gris-Nez avec deux personnes à son bord, Pierre Chabert et Gérard Feldzer. Direction l’Angleterre. Le ballon est équipé d’hélices qui lui permettront de manœuvrer, sans pouvoir toutefois s’affranchir entièrement des contraintes météorologiques, des vents dominants en particulier qui, tout au moins aujourd’hui, ont permis à l’Iris Challenger de partir sans problème dans la bonne direction.

« Une Première Mondiale »

L’agence de presse Galaxie couvre en exclusivité la tentative de traversée de la Manche. Cet exploit, s’il réussit, ne passera donc pas inaperçu car on a mis les bouchées doubles pour communiquer. Reportage en direct sur I-Télé, articles multiples dans la presse, tout est fait pour qu’on en parle, car cette idée de ballon électrique est avant tout un projet technologique et commercial. « C’est un pari un peu fou, pour une expérience inédite » récite France Info. D’autres journalistes se réfèrent à l’exploit de Blériot en 1909, Pierre Chabert évoque quant à lui Santos-Dumont, l’un et l’autre de grands pionniers de l’aéronautique. « Défi humain et technologique » ajoute enfin Galaxie.

Un Ballon gonflé à l’Hélium ou à l’Hydrogène ?

Pourtant, on sent bien que derrière cette tentative il y a un discours semblable chez tous les intervenants, comme cette référence presque systématique à Blériot, à l’écologie aussi. Parfois la leçon est mal digérée : ballon gonflé à l’hélium pour France Info, à l’hydrogène pour I-Télé dont le journaliste est présent au décollage. Ce n’est pas la même chose. Le premier est incombustible, ce qui n’est pas le cas du second, à la source de bien des accidents aéronautiques par le passé. Et puis pour bien différencier le nouvel aérostat de ses prédécesseurs, les ballons et les dirigeables, on assure que celui-là ressemble à un thon… un peu comme les dirigeables…

La première Traversée de la Manche par les Airs

C’est à se demander si l’on se souvient encore des aérostiers Jean-François Pilâtre de Rozier et Jean-Pierre Blanchard. Je n’ai trouvé aucun article les citant, aucun journaliste revenant sur leurs exploits. Car ces deux-là se disputèrent la première traversée de la Manche en ballon. Pilâtre de Rozier choisit de partir des côtes françaises, Blanchard, d’Angleterre car les vents dominants y étaient plus favorables. Cela ne se passait pas en 2013, mais en 1785. C’était à cette époque un véritable « défi humain et technologique ». Cela représentait quelque chose d’extraordinaire. Le premier vol habité, avec des humains, des frères Montgolfier ne datait en effet que d’octobre 1783.

Si les Montgolfier avaient été les premiers à permettre à des hommes de voler, ils ne furent pas les plus géniaux inventeurs car à la même époque Jacques Charles construisait le premier ballon à hydrogène. Avec sa toile, sa nacelle en osier, son système de soupape, ce ballon avait autre chose dans le ventre qu’une Montgolfière qui, elle, ne s’élevait dans les airs qu’à l’aide d’un foyer alimenté par de la paille. Le premier vol habité du ballon de Jacques Charles eut lieu le 1er décembre 1783, donc très peu de temps après les premières ascensions des Montgolfières.

Pilâtre de Rozier fut le premier homme à s’élever dans les airs, pour le compte des frères Montgolfier. Quant à Blanchard, génial inventeur originaire de Petit-Andely en Normandie, il imagina une sorte de « bateau volant » – c’est ainsi que l’on surnommait son ballon – non pas sur le modèle de la Montgolfière, mais sur celui de la Charlière. Il avait ajouté à la nacelle un gouvernail et des ailes, des rames permettant de manœuvrer le ballon. En 2013, que fait-on de plus ? On remplace l’hydrogène par de l’hélium, les ailes par des hélices, et comme Blanchard le décida en 1784, on fit un premier essai de traversée de la Manche en 2011 en partant d’Angleterre…


Pilâtre de Rozier, pour traverser la Manche, fit construire un ballon hybride, à air chaud et à hydrogène. C’était un système dangereux. Il attendit longtemps avant de pouvoir s’envoler car les vents ne furent guère favorables. Entre-temps Blanchard et son passager américain avaient décollé de Douvres le 7 janvier 1785 et fait la traversée en moins de deux heures trente. Un exploit ! Pilâtre de Rozier ne renonce pas. Il s’envole à son tour le 15 juin 1785, fait quelques kilomètres en direction de l’Angleterre avant d’être ramené vers la côte par un vent contraire. Là, le ballon se dégonfle soudainement, chute d’une hauteur de 300 mètres. Pilâtre de Rozier et son passager seront les premières victimes de l’aéronautique.

Gérard Feldzer et Pierre Chabert ont établi aujourd’hui, le 4 septembre 2013, un nouveau record du monde, deux heures vingt trois avec un dirigeable, soit deux ou trois minutes de moins que Blanchard avec son simple ballon sans hélice au XVIIIe siècle. Il n’y a donc pas de quoi se pavaner.

La Traversée de l’Atlantique

Projets futurs pour nos deux aéronautes, la traversée de la Méditerranée puis celle de l’Atlantique. Au XVIIIe siècle, les gens qui n’avaient pas moins d’imagination qu’aujourd’hui l’espérèrent aussi. Janvier 1785, au moment où Pilâtre de Rozier attendait, déjà battu, de pouvoir s’envoler vers l’Angleterre, le Journal de Rouen exprimait déjà ce qui ferait plus tard la gloire de Charles Lindbergh en 1927.

«  … on nous écrit de Paris que M. Pilâtre de Rozier n’a pas renoncé … à son entreprise de traverser la mer sur un ballon, et qu’il est retourné à Boulogne pour l’exécuter. Quelqu’un a remarqué, dit-on que puisqu’il n’a pas eu le bonheur de passer la mer le premier, comme il s’en étoit flatté, il pourroit se couvrir d’une gloire immortelle, en se rendant en Amérique. Comme son ballon peut rester six mois en l’air sans déperdition de gaz, il n’a qu’à chercher les vents alizés, et peut-être alors pourroit-il toucher à quelques-unes des Iles du Vent en moins de trois jours. Cette idée, qui paroîtra sans doute folle, ne l’est pas autant qu’on pourroit se l’imaginer. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’y a pas si loin aujourd’hui d’un pareil voyage, qu’il y en avoit il y a trois ans de celui qu’on vient de faire. En effet, qui auroit imaginé dans ce temps-là la possibilité de se rendre par les airs d’Angleterre en France ? »

Blanchard part donc quelques années plus tard pour les États-Unis, parcourant le pays comme il le fit en Europe, pour y exécuter des ascensions aérostatiques. Il revient en France au bout de quatre ans. Le Journal de Rouen, publiera la notice suivante sur notre personnage, décédé le 7 mars 1809 :

« … Il quitta la France à la fin de 1792, pour se rendre à Philadelphie, où il était demandé, et il y fit sa 45e ascension. De là il passa chez les Iroquois et les Illinois, ou il resta deux ans. De retour à Philadelphie, il y exécuta, en 1796, trois automates de grandeur naturelle. Il construisit à New-York, une flotte aérienne avec laquelle il se proposait de repasser en Europe. La foudre, en brûlant son escadre dans le hangar où elle était suspendue et prête à partir, détruisit à la fois la plus chère de ses espérances et l’objet de ses affections, en frappant aussi son fils unique, âgé de 18 ans, et donnant déjà les plus belles espérances. »

La tentative d’une traversée de l’Atlantique en ballon se termina donc de façon dramatique. Il faudra attendre l’avènement de l’aviation puis celui des énormes dirigeables de l’entre-deux-guerres pour que ce rêve soit enfin atteint.

Le 23 mai 1784, Blanchard exécutait une ascension à Rouen. En voici le compte rendu présenté par le Journal de Rouen (j’ai allégé un peu le texte en en retirant quelques longueurs) :

« Il est parti des anciennes casernes à 7 heures 20 minutes, son baromètre étant à 28 pouces 4 lignes, et s’est élevé majestueusement dans les airs. Il a plané longtemps sur la ville ; après quoi un vent violent contre lequel il a luté, a brisé son gouvernail … il a traversé un petit nuage blanchâtre, ensuite un très épais, qui l’a considérablement mouillé, puis il s’est élevé à une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de la glace. Son habit humide par la traversée du nuage, est devenu roide … Il ne s’est décidé à descendre, que parce qu’il appercevoit un nuage orageux, et qu’il voyoit la mer. Il est descendu sans ouvrir la soupape de son globe, mais seulement en faisant agir ses ailes en sens … contraire »

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