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J’habite la rue de la Laie, un ancien hameau déchu, construit tout en longueur et installé à proximité des terrains communaux. De ce côté de la commune, c’est un paysage de plaine qui domine, sans forêt, sans relief important non plus.

Rue de la Laie, j’ai tout de suite trouvé ce nom banal, de la même inspiration que ces rue des Pommiers ou allée des Tilleuls qui parsèment depuis des dizaines d’années les lotissements de France et de Navarre. La première fois que je passais dans notre rue, je la jugeais peu typée, presque anonyme, mais calme et sympa. Je n’imaginais pas qu’il pouvait y avoir une histoire derrière ce vide apparent, en tout cas autre chose que celle d’une vague femelle de sanglier venue se perdre ici, et encore moins celle de ces terrains communaux dont personne ne se souciait beaucoup.

Du côté du Moyen Âge

Ce fut d’abord du côté du Moyen Âge que je cherchais, avec le petit groupe qui travaille sur l’histoire de notre commune. Il faut bien dire qu’il n’y avait pas grand chose à se mettre sous la dent. Je crois bien que le plus ancien document qui parle de notre hameau date du XVIe siècle, du temps où le seigneur de Préaux était un seigneur de Ferrières. Il ne restait plus qu’à se mettre à la tâche et chercher autrement. Tout d’abord avec un dictionnaire d’étymologie, car on utilisait encore au XIXe siècle la forme La Laye, déjà concurrencée par l’écriture moderne qui ne voyait déjà plus qu’un sanglier dans ce toponyme. J’y trouvais une autre signification, celle d’un chemin qui traverse la forêt. La version du sanglier éclatait comme une bulle. La présence de deux autres hameaux proches portant les noms du Bosc et du Quesnay montrait à l’évidence que la forêt s’étendait bien jusqu’ici. J’imaginais déjà qu’une sorte de forêt primaire se tenait là, sombre, impénétrable, pleine de bêtes féroces tapies à surveiller les moindres faits et gestes des quelques hommes qui s’aventuraient courageusement ou inconsciemment sur ce chemin.

Plus tard, en m’intéressant à l’histoire des terrains communaux, je constatais que là-aussi, c’était à la forêt que l’on faisait référence. Au début du XIIIe siècle, ils étaient déjà bien là, appelés Coutumes de forêt. Je ne vais pas rentrer ici dans le détail, ce serait trop long. Il faudra attendre la sortie du bouquin de l’association (qui n’est pas pour demain), mais voilà, ces recherches posaient maintenant d’autres questions, sur l’exploitation de la forêt, sur la crainte de manquer de bois, sur la protection de la couverture forestière qui déjà au second Moyen Âge semblait menacée. Au fil de mes lectures j’appris que ce phénomène était déjà d’actualité sous l’Antiquité, au Bas-Empire en particulier, que parfois il était difficile, voire impossible de trouver autour de Rouen des arbres destinés à la construction et suffisamment âgés. Il y avait donc belle lurette que les forêts n’étaient plus sombres, impénétrables et pleines de bêtes féroces, et déjà bien longtemps que les hommes les exploitaient et les transformaient, en tout cas bien avant l’an mil.

La présence de la forêt, la structure linéaire du hameau, me firent alors penser à un peuplement datant tout au plus du Moyen Âge, destiné à ouvrir de nouvelles terres à l’agriculture. En même temps, je commençais à m’intéresser à l’Antiquité et arpentais les labours à la recherche de trucs et de machins que la lecture des travaux de l’abbé Cochet m’avait fait découvrir. Je n’y connaissais pas grand chose au début et n’en attendais aucune réponse non plus. Tous les cailloux se ressemblaient et les tessons de terre cuite que je trouvais ne signifiaient absolument rien.

L’Antiquité

La terre lourde des plateaux calcaires représentait un obstacle à l’agriculture. On admit longtemps que ce furent les romains qui les exploitèrent véritablement en installant ici comme ailleurs leurs magnifiques villae estampillées made in Italie, ces exploitations agricoles luxueuses équipées d’un chauffage central et de jardins ornementaux où le maître se délassait en contemplant ses magnifiques rosiers. Pas vraiment. Il faudra désormais se faire à l’idée que les Gaulois n’étaient pas les sauvages que nous présentaient les auteurs romains. L’archéologie de ces trente dernières années a beaucoup fait progresser nos connaissances et remis entièrement en question les travaux des historiens. Leur installation était raisonnée, tout autant que le sera celle des Romains, et leurs exploitations agricoles inspireront beaucoup les villae du temps de l’occupation.

On trouve trace des Gaulois à Préaux bien avant la présence romaine. Une sépulture découverte rue aux Juifs remonterait à la Tène ancienne, tout au moins au début de la Tène moyenne (Rapport de Diagnostic, David Breton et Yves-Marie Adrian, INRAP, septembre 2009 ). La Tène, c’est le second Âge du Fer. Cela nous ferait remonter aux environs de 300 ans avant notre ère. A cette époque l’agriculture a fait d’énormes progrès et les nouvelles vagues d’immigration celtes s’installent aussi sur les plateaux calcaires, car si la terre y est difficile à travailler, elle est aussi très fertile. C’est une excellente terre à blé. Les Gaulois sont donc bien là. Ils défrichent à tour de bras et installent leurs établissements agricoles qui formeront au second Âge du Fer un tissu dense recouvrant la Gaule entière.

L’espace qui nous intéresse ne fera pas exception. Les terres qui plus tard feront l’environnement de notre hameau montraient certainement sous l’Antiquité une apparence rurale, mélange de grands espaces boisés, car le bois est important dans l’économie antique, et de zones cultivées entourées de haies et de fossés, composées de labours et de pâtures où l’animal domestique occupait une grande place.

Difficile d’imaginer en regardant cette photo qu’il y eut ici une autre vie, un autre aménagement de l’espace. Si l’on relève bien quelques emplacements qui furent habités à l’époque gallo-romaine, on y trouve aussi quelques traces ténues de céramique gauloise impliquant une occupation plus ancienne. Dans notre région, l’arrivée des Romains ne correspond pas à un changement des habitudes brutal. Les établissements ruraux se romaniseront progressivement, sans que ne s’installent vraiment, comme ailleurs, ces grands domaines agricoles, ces villae somptueuses, qui font aujourd’hui la réputation de l’époque gallo-romaine.

A la Laie, les établissements gallo-romains semblent plutôt modestes. Le plus important date des IIe et IIIe siècles. On y vécut dans un certain confort, tuiles au lieu de couvertures végétales, mais constructions certainement en charpente et terrage, à la façon indigène. Les échanges commerciaux étant importants à cette époque, il n’est pas étonnant de retrouver sur place de la céramique narbonnaise destinée à importer le vin, ou espagnole dans le cas de l’huile d’olive. La rencontre avec Yves-Marie Adrian me procura de nombreuses informations sur les tessons trouvés là. Le tout venant, la céramique commune, provenait d’ateliers spécialisés moins éloignés, surtout de Lyons-la-Forêt, mais aussi du Pays de Bray par exemple. Il y avait un peu de sigillée.

Cette exploitation agricole disparaîtra, comme la plupart des autres. Les troubles de la fin de l’Empire, puis l’installation d’une nouvelle économie agraire, transformeront à nouveau le paysage, le façonnant autrement. La forêt regagnera l’emplacement qu’occupaient certains habitats. Plus tard, au Moyen Âge, les habitations se resserreront, s’organiseront et seront peut-être à l’origine du hameau de la Laye, mais là encore il y a un grand vide, une absence totale de données.

Bec déversoir sous forme de mufle de lion perforé, fragment d’un mortier de type Dragendorf 45. Ce type de vase très commun apparaît dans la seconde moitié du IIe siècle et continuera à se fabriquer jusqu’au IVe siècle. J’ai lu qu’il était peut-être destiné au caillage du lait, pour fabriquer du fromage.

Organisation d’un finage au Moyen Âge

Nous quittons l’Antiquité où l’habitat rural s’installait principalement de façon isolée, ou chaque ferme se tenait au milieu de ses terres. L’occupation du sol se construit dorénavant de façon communautaire. Au Moyen Âge, la forêt, mais aussi les terrains communaux boisés, se tiennent en général à la périphérie d’un finage. Le village en occupe le centre. Les terres qui demandent le moins de soins ou qui sont difficilement exploitables correspondent donc aux zones les plus éloignées des habitats, par soucis d’économie de temps dans les déplacements. Ces quelques données permettront de comprendre comment se forme le paysage au Moyen Âge et de revenir à notre hameau pour y rechercher la forêt, absente aujourd’hui.

Lorsque le sud de la paroisse était boisé

Les Coutumes de forêt occupant en grande partie le sud de la paroisse, il est donc évident que le couvert forestier ait été important ici au Moyen Âge, et ce particulièrement aux abords de la Laye. La forêt s’étend alors entre Préaux et Bois-l’Évêque, entre Préaux et Saint-Jacques, formant une sorte de frontière séparant les différents finages. Elle n’est pas forcément bien épaisse. De l’autre côté, vers Saint-Jacques, existe déjà vers 1200 l’endroit que nous nommons toujours La Vacherie. Si la forêt est bien là, elle ne forme donc nulle part un massif imposant. Elle s’écoule entre Saint-Jacques et Bois-l’Évêque, sépare également Bois-d’Ennebourg, descend vers Montmain. Elle est partout parce qu’elle est nécessaire aux habitants pour se chauffer, pour faire cuire la nourriture, pour la construction des maisons, des outils, des meubles… Elle permet de faire fonctionner les forges. On y mène les animaux domestiques pour qu’ils s’y nourrissent.

Mais très vite elle disparaitra des Coutumes de forêt, pour la simple raison qu’elle aura toujours été surexploitée et mal gérée. En 1700, il n’y a déjà quasiment plus trace d’un couvert forestier au sud de la paroisse. Au XIXe siècle on mettra les terrains communaux en culture. C’est ce paysage que nous découvrons aujourd’hui.

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